Messages : 6 Age : 28 Métier : Reine de Terra Humeur : DéterminéePoints Histoire : 0
Ven 14 Mar - 21:56
Ellana Senyl
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Sam 24 Mai - 17:13
Ellana Senyl
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Sam 24 Mai - 17:17
Les semaines qui suivirent le décès de ma mère furent très probablement les plus sombres de l'histoire du règne de mon père. L'homme transparaissait de plus en plus souvent sous le masque craquelé du souverain qu'il s'imposait, que nous nous imposions tous désormais. Plus violent, plus colérique, plus acerbe dans ses propos et ses décisions, il fit naître et alimenta de très lourdes tensions entre les différents Seigneurs de guerre et vassaux du Royaume, qui espéraient profiter de la position de fragilité de mon paternel pour s'octroyer quelques privilèges supplémentaires auprès du Sénat. La balance déséquilibrée, il ne fallut guère de temps pour qu'un vent de protestation souffle de plus en plus fort sur les hautes sphères de la vie politique Terrane. Pour ma part, je n'avais d'autre choix que d'y assister de très loin, me retrouvant de nouveau au cœur de l'Ecole Militaire d'Albio, presque coupée du monde et de la vie extérieure, n'apprenant les nouvelles que par rumeurs interposées. Difficile à cette époque, et à mon âge, de trier le vrai du faux. Tout ce que je savais – une idée qui ne m'avait jamais quitté – c'était de terminer mon cycle de formation en étant l'une des meilleures. Je voulais être la meilleure, afin de prouver à tous que je serais digne de succéder à mon paternel, digne du trône et digne de les diriger.
Il serait totalement faux de dire que les épreuves ne m'affectèrent pas. Le décès de ma mère me laissa pantoise et hébétée durant de nombreux jours, et l'instructeur Terence s'était acharné à me maintenir l'esprit occupé loin de mes préoccupations. Il m'en avait fait baver le bougre. Nous en avions tous bavé durant le printemps. Il nous avait épuisé, écrasé, et pourtant maintenu suffisamment alertes pour que nous trouvions toujours la volonté et la force de nous redresser. Nous surpasser d'abord, vaincre ensuite...
7 Septembre 748 - Fin de matinée École Militaire d'Albio
J'étais épuisée, le souffle court, haletant. Mon épée tremblait dans ma main, simple prolongement de mon bras. La sueur ruisselait à grosses gouttes le long des arêtes de mon visage, mais je souriais ; mes noisettes contemplant la pointe de mon épée maintenue fébrilement à quelques centimètres à peine de la gorge de l'instructeur Terence. Enfin je le battais. Enfin je le désarmais et le tenais sous mon joug. Impossible de décrire l'intensité de la joie et de la satisfaction qui me tenaillaient les tripes, mais c'était bon, très bon. La victoire était une sensation vraiment exquise, grisante.
L'instructeur eut un rictus plutôt nuancé, entre la grimace de la défaite et le plaisir de me voir progresser. Il repoussa ma lame d'un revers de son gantelet, puis se releva lourdement.
''Joli combat Princesse... T'es bien la première à me faire mal cette année... Je commençais à désespérer...''
''Désolée...''
''T'excuse pas gamine !'' brailla-t-il de sa voix de stentor éraillée. ''La souffrance du combat, c'est justement ce que je recherche. Ça faisait longtemps qu'un merdeux n'avait pas eu l'impertinence de me coller une bonne branlée,'' avoua-t-il avant de ricaner, plongeant sa main dans une des besaces accrochées à sa ceinture pour en extirper une petite flasque.
''Cuvée spéciale des Necker, descendue droit de mon vallon natal,'' m'expliqua-t-il avant d'en boire une gorgée. Je savais que Terence était un natif d'un village de haute altitude enclavé au fin fond d'une vallée reculée des Élénides, près des contreforts des Infranchissables, mais mes connaissances sur le passé et la carrière de mon instructeur s'arrêtaient à peu près là.
''La tradition veut qu'on partage la boisson avec celui qui vainc, pour sceller la fin de l'affrontement.'' Il me tendit la flasque, dont je m'emparai avant d'en renifler le goulot d'un air suspicieux.
''Ça a l'air fort. Je ne sais pas si...''
''Tu vas pas me faire l'affront de refuser Princesse ? C'est juste des plantes, un rien macérées.''
''Non. Non... Euh... Avec plaisir alors...''
J'avalai une gorgée – une toute petite gorgée – de la boisson, et manquai de m'étouffer avec. L'alcool me brûla la gorge, je le sentis descendre au cœur de mes entrailles aussi sûrement que si Iskandar lui-même était venu déverser un torrent de flammes dans mon œsophage. Mon teint d'albâtre vira au pivoine presque instantanément, ma tenue d'entraînement me semblait tout-à-coup insupportable, trop chaude, étouffante. Je toussai, les larmes au bord des yeux.
''Putain l'enfoiré...'' soufflai-je d'une voix rauque et éteinte alors que Terence riait aux éclats, attirants l'attention des combattants alentours, aspirants comme instructeurs.
''Ça décape n'est-ce pas Princesse ?'' demanda-t-il entre deux éclats de rire ; remarque accompagnée d'une bonne claque sur l'épaule qui faillit bien m'envoyer au sol. ''Te v'là dépucelée du gosier Princesse... Allez ! File au baquet te décrasser. Tu dégages une odeur digne des bas-fonds de Lex,'' m'ordonna-t-il d'un ton bourru.
''A vos ordres instructeur,'' ai-je obéis avec empressement ; et tandis que je m'éloignais vers la salle d'eau pour me nettoyer, je l'entendis brailler aux autres aspirants, sa voix dominant la cour d'entraînement.
''Alors les puceaux !? Vous allez laisser une gamine vous surpasser ? C'est quand même pas la Princesse qui va venir combattre pour vous, non !? Alors remuez-vous un peu le cul tas de fiottes !!''
Voici ce qu'était Terra. Un pays d'hommes et de femmes farouches, combatifs et déterminés ; suant sang et eau pour leur patrie. Et par ma maigre victoire d'aujourd'hui, j'y prenais pleinement part, plus Terrane que jamais. Oui... La victoire avec un goût exquis. Enivrant et graveleux certes, mais exquis.
Au cours des années qui suivirent, je poursuivais mon entraînement et mon éducation aux plus hautes valeurs et techniques guerrières, passant en revue toute la stratégie militaire et ayant droit à des cours beaucoup plus poussés sur la diplomatie Terrane, la géo-politique qui régnait sur le continent ainsi que les positions et valeurs défendues par notre patrie au-travers du monde. Quand mes compagnons d'armes avaient quartier libre, je restais pour ma part enfermée avec les plus grands tacticiens et diplomates du pays. Je faisais la connaissance de nombreux Sénateurs et leurs descendants, j'apprenais quelles étaient les lois régissant notre patrie, les liens que nous entretenions avec nos vassaux les plus éloignés, ceux qui avaient choisi de servir Terra aux frontières Occidentales et Septentrionales avec Ignis, Ventus et Aquaria. Quelle était la place que nous étions supposés occuper et tenir dans ce bas-monde, et quels étaient les enjeux en cours et à venir pour ma patrie. Petit à petit, j'acquérais toutes les connaissances qui me seraient nécessaires pour accomplir ma tâche avec le plus de cartes en mains, et le plus d'atouts dans mes manches. Car le jour viendra où...
25 Août 755 – Début d'après-midi Basilique d'Albio - Hystia
Si depuis mes dix ans j'assistais à grand nombre de cérémonies, d'adoubements, de séances politiques et de doléances, affrontant nobles, sénateurs, chevaliers, soldats et même la population ; jamais je n'avais ressenti une telle angoisse, presque muée en terreur. Une terreur dont je me faisais violence de dissimuler aux yeux de tous, car aujourd'hui, un mois après la disparition de mon père, je prenais officiellement la tête de la nation. Aujourd'hui, je devenais la quatrième Reine de Terra, devant les plus haut-gradés de l'armée, le Grand Général, les Sénateurs les plus influents, les plus puissantes familles nobles du royaume. Mes noisettes cherchèrent Warnoch du regard, le Garde Royal avec qui j'entretenais des relations depuis mes treize ans. Un homme de grande valeur, qui partageait nombre de mes idées et de mes convictions ; et en qui j'avais une confiance absolue. Je le trouvais enfin, dans un coin de la basilique près d'une colonne, l’œil aux aguets, l'esprit alerte. Je me sentis presque immédiatement rassurée, alors que la pression se faisait de plus en plus oppressante sur mes épaules.
Je ressentais aussi la présence de Karel. J'avais croisé le Chevalier Noir lors d'une cérémonie de la Garde Royale. J'avais observé cette armure de jais, parfaitement noire et lisse. J'avais reconnu Arondight entre ses gantelets, je l'avais ressenti, au-travers de notre pacte, face à moi ; et je n'avais rien dit, pas émis la moindre pensée. Je m'étais efforcée de taire notre lien, de libérer mon frère de sa culpabilité et de le laisser libre d'agir et prévenir. Et aujourd'hui, je savais qu'il se trouvait là, dans l'ombre de la basilique à me protéger. Et le laïus du prêtre Albionniste qui n'en finissait pas... Je bouillais sur place alors qu'il bénissait l'eau du sacre en psalmodiant quelques versets du Magna Carta.
Tous ces chichis protocolaires avaient le don de m'exaspérer au plus haut point, et pourtant... Je me devais de faire avec. La basilique était noire de monde, l'atmosphère – combinée à la chaleur du mois d'Août – eut vite fait de devenir étouffante, ce qui n'arrangeait en rien cette pression accablante. Car la réalité était désormais devant mes yeux, et la prise de conscience qui allait avec : je devenais Reine de Terra. Cela faisait des années que je me préparais à l'événement, encore plus depuis la disparition de mon père le mois dernier ; et pourtant, je ne me sentais pas prête. Le devenait-on réellement un jour ? Était-on prêt à devenir parents ? J'en doutais fortement... On avait beau tout faire pour s'y préparer, on se retrouvait démuni face à la réalité quand celle-ci venait vous gifler en pleine trogne. Je savais quel était mon rôle, quelle était ma place, j'avais étudié des années durant pour accomplir cette tâche que le destin m'avait imposée à l'aube même de ma naissance. Et après tant d'années à préparer le fameux ''jour où...'', je me révélais totalement terrifiée de le tâter enfin, de le voir venir. Mon père avait-il ressenti la même chose le jour de son accession au trône ? Jamais nous n'avions abordé le sujet. Je n'y avais même pas songé à dire vrai...
''Votre Altesse... Approchez je vous prie,'' m'invita l'archevêque d'Albio, un sourire de connivence sur les lèvres. Au fond de lui, le vieil homme d'église n'avait jamais apprécié l'histoire du lien transcendant que j'avais avec mon frère. Un frère que je savais présent aujourd'hui, non loin de moi, sa bienveillance planant sur l'assemblée de la basilique. Je m'approchais finalement du bain de sacre, le visage fermé, mes noisettes ne se détachant pas de la foule. Ma terreur intérieure ne devait pas transparaître ; à aucun moment. Aujourd'hui, je n'étais pas une fille de Terra, ni même la princesse ou la Reine de la nation, j'en étais l'incarnation, le symbole ; et à ce titre, je me devais d'être aussi inébranlable que les fondations d'Albio même. J'entrais dans le bain, lentement, le tissu de ma robe de sacre collant presque instantanément à ma peau, avant de m'agenouiller dans l'eau. Le serment... Il me fallait prêter serment maintenant.
''Moi, Ellana Senyl, quatrième Reine de Terra, fais le serment en ce jour de porter la couronne du royaume, et de porter à travers-elle les responsabilités et les valeurs de notre patrie, de la servir et de la protéger, de prendre les décisions lui assurant prospérité, sécurité, gloire et honneur tout au long de mon règne, dans le respect de nos coutumes et de notre morale.''
Je marquai une pause dans mon serment, observant l'assemblée avec attention. Ma peur s'était muée en fierté au rythme des syllabes quittant mes lèvres. Puis j'enfonçai le reste de mon corps dans le bain, jusqu'à être totalement immergée. Le calme sous l'eau était si reposant. Je sentais mon esprit flotter dans ce maigre espace aqueux, savourant là les derniers instants de ma vie de princesse. Quand ma tête jaillirait du bain, elle serait couronnée. Alors autant profiter de ces tout derniers instants de solitude.
*Père. Mère. Puissiez-vous me garder d'échouer et vos âmes être comblées de fierté.*
Ma tête jaillit hors de l'eau, et je pris une grande inspiration.
''Amor patriae nostra lex.''
Que s'est-il passé par la suite ? Je pense que chacun le sait, plus ou moins, à sa manière et selon ses origines, ses connaissances et ses fréquentations. Selon son intérêt personnel pour les choses de la couronne aussi, cela va sans dire.
Très rapidement, je me retrouvais confrontée au Sénat et ses occupants. Très rapidement, je me retrouvais confrontée à une réalité qui n'avait fait que me frôler tout au long de mon existence : le jeu du pouvoir et la manipulation. Je me rendais pleinement compte que mes parents avaient longtemps fait tampon entre ma perception du monde politique et ce qu'il était réellement. Avant le couronnement, je n'étais pas vraiment décisionnaire. J'avais bien mes avis et mes principes, mais ceux-ci n'avaient pour ainsi dire aucune valeur. Désormais, chacun de mes idéaux portait un fardeau bien plus grand : celui de la responsabilité. Mes choix, mes combats, mes principes se retrouveraient appliqués à l'ensemble de la nation si le Sénat les approuvaient. Fort heureusement pour moi, je pouvais compter sur quelques alliés de poids au sein de celui-ci pour m'assister et me soutenir dans le cœur de mes décisions.
Jour après jour, j'ai réellement appris à dompter le trône et ses exigences. Mes nuits s'étaient vues raccourcies de nombreuses heures, mon esprit n'était jamais libre, toujours à cogiter sur une multitude de problèmes qui se révélaient chaque jour. Chacune de mes décisions, chacune des propositions de lois et de décrets adoptées ou rejetées par le Sénat se voulait suivie de son contingent de conséquences sur le plus ou moins long terme. Envoyer des diplomates vers Ventus pour espérer pouvoir implanter une ambassade permanente à Omnia fut la première décision d'envergure que je réussis à faire adopter par le Sénat. Il m'avait fallu presque une année entière de négociations et d'arrangements politiques divers pour finalement parvenir à rallier à mon point de vue les trois cinquième du Sénat. Officiellement, c'est une décision d'ouverture prise par le Sénat portant sur le commerce extérieur visant à renforcer l'économie Terrane ; officieusement, c'est avant tout le premier pas que j'espère bénéfique vers une collaboration entre nos deux nations, loin des souvenirs d'une guerre qui ne concerne plus que les générations les plus anciennes de nos pays. Après tout, je conservais toujours mon très fort mépris à l'égard d'Ignis, bien que j'eus appris à ne pas l'ébruiter et à garder cela pour moi. Le début de mon règne fut-il marquant pour les esprits ? En quelque sorte. Luttant contre la corruption du Sénat, proposant de nouvelles aides sociales pour favoriser l'éducation de la jeunesse Terrane, nomination d'un nouveau Chef de la Garde royale – en la personne de Warnoch Arthwÿs - nombreuses propositions de lois pour réformer les infrastructures des services publics royaux, et de très nombreux autres projets que j'avais imaginé bien avant mon couronnement, des travaux de grandes envergures pour améliorer les grands axes du royaume, développant les routes commerciales et négociant même un budget plus conséquent pour la marine marchande et militaire de Terra.
Les décisions les plus tonitruantes et contestées furent celles portant sur le mécénat d'artistes Ventusiens, peintres, sculpteurs et architectes venus du pays du Vent pour que les cultures extérieures aient aussi des accès auprès de la population Terrane. D'aucun m'ont accusé de renier là – voire de trahir, certains n'ont pas peur d'être ridicules – les racines-mêmes de notre culture et de notre patrie, alors que celles-ci restaient au cœur de mes préoccupations quotidiennes ; jusqu'à la plus contestée de toutes, et probablement la plus importante...
21 Novembre 760, Quartier Général.
Cela faisait maintenant quelques mois que l'affaire me pendait au nez, lorsque j'avais reçu cette missive du Seigneur Hornst trois jours auparavant, promu Grand Général sous le règne de mon père et souhaitant aujourd'hui prendre une retraite amplement méritée dans ses terres, sur les rivages Orientaux de Terra. Comment aurais-je pu le lui refuser ? En tant que Reine de Terra, je me devais de rendre honneur aux décennies de dévouement et à la loyauté inflexible du vieux soldat. Une cérémonie serait bien entendu organisée pour la passation de pouvoir, féliciter le néo-nommé et remercier le Grand Général sortant. Une occasion rare, et un jour de fête en perspective pour les soldats et la population. Mais bien avant cela, encore fallait-il le trouver ce fameux successeur ; et la tâche se révélait des plus ardues tant chacun souhaitait y aller de son petit commentaire, poussant sur le devant de la scène de manière plus ou moins subtile le poulain familial, l'ami ou l'allié politique de longue date. Depuis que j'avais fait part de la demande du Seigneur Hornst au Premier Sénateur - simple forme de politesse soit dit en passant - les discussions au sein du Sénat tournaient presque exclusivement autour de ce sujet. Qui serait le successeur de Philias Hornst ? Qui serait le sixième Grand Général de l'Armée ? Avec bien sûr en arrière-plan cet enjeu politique majeur pour certains sénateurs : avoir un allié dans le camp de l'exécutif, une façon de resserrer l'emprise sur les prérogatives de la Famille Royale. Sur mes prérogatives.
Je ne souhaitais pas commettre la même erreur que mon père avec la nomination du Seigneur Hornst, soutenu par les Sénateurs de l'époque. Non pas que Philias ne fut pas apte au poste, bien au contraire, mais les clivages politiques survenus suite à son accession à la fonction militaire suprême auraient pu mettre le royaume en péril si le traité de paix entre Ventus, Ignis et Terra avait pris fin sous son règne. Dieu merci, ce ne fut pas le cas, et j'étais quelque part soulagée de pouvoir nommer à ce poste une personne que j'estimerai digne de confiance, méritante et surtout, surtout, apolitique alors que le temps fuyait de plus en plus rapidement vers l'échéance fatidique. Un an et des poussières. Serait-ce suffisant pour permettre au nouveau Grand Général de prendre ses marques à son poste ? Il n'aurait pas vraiment le choix.
Trois jours au cours desquels j'avais eu du mal à trouver le sommeil, et encore plus à le garder sans être hantée par cet ignoble cauchemar, alors que je passais mes journées à ruminer le problème de la succession de Hornst. Je m'étais rendue à l'école militaire d'Albio, renouant avec quelques souvenirs agréables de camaraderie, de sous-officiers beuglants et de lieues entières parcourues, nos pieds suintant dans nos bottes sous un soleil de plomb ou une pluie torrentielle, le long de sentiers escarpés sur les flancs des Elénides. Une époque où je pouvais encore me permettre d'être insouciante quelques heures par jour, loin des responsabilités familiales. Mais au cours de ma visite de l'école, huit années après l'avoir quitté, j'y ai découvert de nouvelles stratégies, de nouveaux concepts en discutant avec quelques aspirants tapissés de boue sur leurs uniformes d'entraînement, la plupart présentant quelques hématomes proéminents sur le coin de la gueule. Je pouvais lire dans leurs regards pétillants de fougue toute la fierté et l'honneur qu'ils ressentaient à se dresser devant moi, et une légère pointe de honte à se présenter aussi dégueulasses, ce qui d'ailleurs leur avait valu un supplément de corvées de la part de l'officier subalterne en charge de l'unité ; et m'arracha un sourire intérieur. Putain l'armée... Ces années-là me manquaient parfois...
Puis j'eus la chance de rencontrer un de mes anciens instructeurs de l'époque, me remettant un ouvrage sur les stratégies militaires tout à fait "surprenant" selon lui, un ouvrage très moderne, intégré au cours de l'académie depuis le début de l'année.
"La connerie, c'est toujours très moderne, Majesté. En perpétuelle évolution..." m'avait-il confié en conclusion de son laïus sur les bonnes vieilles méthodes.
Je l'avais écouté citer quelques exemples de stratégies qui lui paraissaient complètement ubuesques tandis que je les trouvais moi-même plutôt bien pensées et fort ingénieuses. C'était alors que je tombais sur le nom de son auteur. Brunhild Mayfair... J'avais vaguement entendu parler de cette dame, des histoires de lignée maudite et de trahison, je ne savais guère... J'étais bien plus jeune au moment des faits, et je devais bien avouer que les histoires intra-familiales des vassaux de mon père ne m'intéressaient guère. Jusqu'à aujourd'hui... Intriguée, j'avais demandé des renseignements sur cette Brunhild auprès de l'instructeur, lequel m'éclaira très brillamment sur le sujet. Une histoire très intéressante en réalité, pour une personnalité d'autant plus intéressante. Une véritable fille de Terra, fidèle au culte d'Albio, lutter contre le karma et toujours prendre en main sa destinée. Exactement le genre de personne qu'il fallait à Terra à l'aube d'une nouvelle crise politique.
Sauf que je n'étais toujours pas décidée, trois jours après. Les prétendants étaient nombreux pour le poste, presque autant que les soupirants espérant accéder au trône à mes côtés... Le cours de mes pensées commença à divaguer, mon menton s'enfonçant dans la paume de ma main gauche, le bras correspondant accoudé à la longue table du Conseil de Guerre, mes noisettes rivées sur le feu crépitant dans l'âtre de la cheminée, tentant de chasser le froid sec de cette fin d'hiver.
"Majesté ?" m'interpella-t-on soudainement. Je manquai de sursauter de peu, tournant soudainement toute mon attention vers l'interlocuteur m'ayant extrait de mes pensées.
"Oui... Désolée Sénateur Pellick. J'étais ailleurs," répondis-je en secouant la tête, les sourcils légèrement froncés dans un reproche que je m'adressais à moi-même. "Vous avez mon attention. Poursuivez je vous prie."
"Je vous faisais part de l'intérêt et le soutien que j'apporte, en compagnie de plusieurs de mes confrères élus du Grand Septentrion, au postulat du Général Lockland, Seigneur de Groom. C'est un homme d'expérience, un officier et un guerrier chevronné ; ainsi qu'un membre éminent de l'Ordre des Instruits. Il saura porter nos valeurs et mener nos hommes vers la victoire," reprit l'homme ventripotent, dont la voix grave et éraillée vibrait d'un ton passionné, emporté, déterminé. Beaucoup trop à mon goût. Je savais d'ores et déjà quels étaient les intérêts de Pellick et de ses pairs du grand nord de Terra : les mines d'argent du massif de Groom, très justement situées chez ce cher Général Lockland, qui ne déméritait pas pour autant les éloges du Sénateur.
*Ben voyons mon bonhomme... Cours toujours...* ruminai-je en plissant les paupières sur mes deux noisettes, feignant un intérêt que je ne lui portais absolument pas. "J'entends vos arguments, Sénateur. Le Général Lockland me semble être un élément tout à fait indiqué pour..."
"Tout à fait indiqué ?" s'offusqua soudainement un autre élu en me coupant, situé sur ma droite, trois sièges plus loin et un godet de vin posé devant lui, ses deux mains tremblantes l'encadrant. "Sauf le respect que je porte à votre jugement Majesté, Lockland n'est plus qu'un vieillard à demi-croulant, l'ombre de lui-même..." "Sénateur Chekov..." tentai-je de le couper pour reprendre la parole. "...brûlé les ailes à batifoler avec la vermine frontalière de Ventus..." "Sénateur Chekov !" le rappelai-je plus durement à l'ordre, tandis que Pellick aussi y allait de sa répartie avec la même véhémence envers son opposant. Visiblement, Chekov ne percevait aucun intérêt dans le nord du royaume et semblait défendre la candidature d'un autre élément, qui n'appartenait même pas à l'armée de Terra qui plus est. La situation dégénéra rapidement, les dix sénateurs présents s'emportèrent dans un pugilat verbal qui rendit toute discussion impossible. Mon regard trouva celui de Hornst, puis je secouai la tête avec résignation. Il était visiblement impossible aux sénateurs de se faire à l'idée qu'intérêts du royaume et intérêts personnels n'étaient pas toujours compatibles. Lentement, je poussai sur mes bras contre le plateau de la table pour reculer mon siège et me relevai, chassant quelques plis parcourant ma robe de lin.
Les discussions mirent quelques secondes à se tasser et le silence revint enfin, redevenant dès lors le centre de l'attention générale. Je pris une longue inspiration, toisant chacun des quelques sénateurs présents - les plus représentatifs et influents du Sénat - et me raclai la gorge avant de prendre la parole une dernière fois dans cette assemblée.
"Mes chers sénateurs et législateurs, je sais que vous savez où commencent vos prérogatives, vous êtes experts dans le domaine dès lors qu'il s'agisse de faire valoir vos droits, parfois au détriment des citoyens que vous êtes censés servir..."
"Calomnies ! C'est injurieux !" s'emporta Chekov en se levant à son tour, pointant un doigt accusateur dans ma direction, sous les regards réprobateurs de ses confrères. Pour ma part, je le fusillai littéralement du regard tandis que mon visage se fermait un peu plus.
"Tout autant que de me couper la parole pour la seconde fois consécutive, Sénateur Chekov. Maintenant asseyez-vous et fermez-la !" rétorquai-je d'un ton cinglant. "Vous semblez oublier que je ne suis pas mon père. J'espérais sincèrement trouver conseil auprès de vous quant à la nomination du futur Grand Général, qui est loin d'être à prendre à la légère alors que le traité de paix est en passe de prendre fin, mais je vais plutôt me fier à mon bon sens et mon instinct sur la personne choisie."
Chekov pouffa de dédain en se rasseyant, croisant les bras sur sa poitrine en s'appuyant contre le dossier de son siège, ouvertement désinvolte.
"Et qui donc vous suggèrent votre bon sens et votre instinct de jeune souveraine inexpérimentée ?"
"Le Général Mayfair," annonçai-je sans ciller, déclenchant dès lors stupeur chez certains - dont Hornst lui-même - désolation chez d'autres, et même - à ma plus grande surprise - satisfaction chez un dernier qui retint mon attention plus que tous les autres. Le sénateur Pardow, représentant les comtés les plus méridionaux et les plus austères de Terra.
"L'aînée des Mayfair ? Déshéritée par sa propre famille et meurtrière de son mari ?" s'étonna Pellick, véritablement incrédule. "Mais c'est une gamine, en comparaison de ses prédécesseurs. Pire, c'est une femme, ce qui ne facilitera en rien nos négociations futures avec le Royaume d'Ignis," m'avertit-il. Sa remarque avait certes du sens et un certain fondement géopolitique, mais très certainement pas sa place dans le paysage politique Terran.
"J'ai véritablement du mal à concevoir ces propos dans votre bouche sénateur Pellick. Je me moque bien pas mal de l'avis d'Iskandar quant à mes choix politiques, et n'ai pas de leçon de morale à recevoir de la part d'un Ignisien."
"Et cela sans compter que les Mayfair ne font pas l'unanimité auprès de la population. Les superstitions et les rumeurs les plus fantaisistes courent facilement dans les campagnes et ont la vie dure. Je doute que les soldats voient d'un très bon œil qu'une déshéritée de la lignée Mayfair les commande,"renchérit Chekov, dont le ton dédaigneux commençait à royalement me taper sur le système.
"Sénateur Pardow. Votre avis sur mon choix..."
Le vieil homme au regard émeraude sembla surpris que je le sollicite. C'était un homme au tempérament posé et réfléchi, à l'inverse de Chekov ; un politicien peu adepte de la langue de bois, qui parlait peu, avec le très grand avantage d'être écouté dès qu'il ouvrait la bouche. Un des rares sénateurs qui avait gagné mon plus profond respect au cours de mon jeune règne.
"Moi qui siège non loin de son père et de sa cadette, je suis convaincu que Brunhild est de très loin la mieux placée pour occuper ce poste et remplir cette fonction. C'est une combattante redoutable, une magicienne hors-pair et une stratège accomplie. C'est l'avis que j'ai de cette jeune femme, et je pense qu'elle et vous vous entendrez à merveille, à la différence des rapports que le Grand Général Hornst entretenait avec feu votre père, sans vouloir vous offenser Philias."
"Il n'empêche que jamais le Sénat ne validera sa nomination ! J'y veillerai personnellement auprès du Premier Sénateur !" explosa Chekov, ouvertement menaçant.
"Et je vous rappelle, sénateur Chekov, qu'au regard de la Constitution Terrane, la direction de l'armée est entièrement assumée par le pouvoir exécutif, à savoir moi et qu'en conséquence, peu importent vos simagrées, je reste la seule décisionnaire quant à la nomination du Grand Général et que votre implication dans ce choix ne relève que de la simple politesse et bienséance de ma part ; des notions qui vous semblent totalement étrangères au demeurant," lançai-je sèchement à ce vindicatif législateur sans me démonter, avant de reporter mon attention vers Hornst. "Grand Général, je vous laisse le soin d'annoncer la proposition au Général Mayfair."
"Et si elle refuse, vers qui dois-je me tourner ?" me demanda-t-il, un bref espoir transparaissant dans sa voix. Lui aussi semblait ne pas approuver mon choix. Un espoir naissant que je me décidais à tuer dans l’œuf.
"Elle ne refusera pas, et vous le saviez avant même de poser la question. L'affaire est réglée."
"Oh non elle ne l'est pas !" protesta Chekov une nouvelle fois, ce qui suscita un haussement de ton de la part du Grand Général lui-même à l'égard du sénateur.
"Ça suffit Chekov ! On vous a assez entendu comme ça. La Reine a fait son choix, et il est de votre devoir de l'honorer désormais, peu importe vos griefs personnels," conclut-il avant de retrouver son calme. "Ce sera fait votre Altesse."
Si la nomination de Brunhild à la tête de l'armée avait fait bondir la grande majorité du Sénat et des différents Seigneurs des provinces vassales, elle avait surtout eu pour conséquence d'enfin asseoir mon autorité auprès de mes derniers détracteurs ; et l'année qui suivit confirma à tous, même aux plus revanchards et récalcitrants des généraux en poste que ma décision fut la bonne. Le Grand Général Mayfair par ses actes, son caractère et sa vision des choses était en train de mener notre Armée vers un âge d'excellence et de modernisme que mon père n'aurait jamais pu atteindre de son vivant, trop agaillardi dans ses principes datant d'une autre époque, guidé par ce vieil adage en Langue Ancienne : ''Si Vis Pacem Para Bellum''. Désormais assise après sept années de règne marquées par la contestation et le conservatisme, mon implacable volonté de réformisme s'installait dans le paysage politique Terran, et y trouvait sa place. Les ''vôtre Père aurait...'' ou ''vôtre Mère ferait...'' avaient fini par se taire.
Père, Mère, reposez en paix. Je suis Reine de Terra désormais.
18 Février 762 - Début de matinée Palais Royal - Hystia
Je savourai la chaude caresse d'un rayon de lumière matinal filtrant au travers des vitraux de la chapelle, faisant miroiter des grains de poussière virevoltant de nuances orangées, azurées ou pourpres. Malgré l'heure encore matinale, l'agitation quotidienne avait déjà gagné les nombreux couloirs du palais royal. Il allait me falloir écourter mon recueillement au pied de l'effigie d'Albio, son bras gauche tendant une main amicale vers un nécessiteux imaginaire, sa main droite reposant sur le pommeau de son épée. Sa stature était altière, robuste, dégageant une puissance qui se serait révélée écrasante si les traits de son visage n'avaient pas été aussi rassurants.
Pourquoi étais-je agenouillée aux pieds d'Albio, emplie de doute et de frustrations envers Ehol ? Tout simplement parce que je l'avais de nouveau senti près de moi hier soir, cette nuit... Karel avait combattu cette nuit, il avait été touché. Je le savais distant, il n'était pas à Hystia, mais j'avais réussi à percevoir la douleur, l'horreur, la mort et la violence qui l'imprégnait. Je me posais de plus en plus de questions à propos de l'état de santé mentale de mon frère. Combien de temps parviendrait-il à tenir à ce rythme-là ? Combien de temps parviendrais-je moi-même à le suivre sur cette voie-là ?
Trois coups résonnèrent contre l'huis de la porte de la chapelle, m'arrachant à mon recueillement et mes pensées. Mes noisettes se dirigèrent vers l'origine du trouble. Je me relevai, m'inclinant une dernière fois face à la statue de l'émissaire afin de faire face au vivant de l'autre côté de la porte, lissant les plis de ma robe en soie aux reflets d'ocre et de cannelle, rehaussant mon châle sur mes épaules.
"Entrez !" ordonnai-je d'une voix ferme, dont l'autorité se répercuta en échos contre les colonnades, mourant sous les voûtes. Mon visage avait retrouvé cette impassibilité austère qui sied à ma fonction. Même dans l'intimité de ma piété, je me devais d'extérioriser aux yeux de tous mon assurance de monarque Terrane. Impassible et inébranlable. Figée - à l'image de la statue me dominant - parée à affronter toutes les tempêtes sans faillir. Je reconnus l'uniforme aux armes de la garnison du Palais, retirant son heaume avant de poser le genou à terre, inclinant la tête. Le soldat devait avoir mon âge, soit un nouvel élément en ces murs, car ne servait pas à l'intérieur du Palais Royal le premier venu.
"Pardonnez-mon intrusion ma Reine," commença-t-il d'un ton révérencieux mais ferme, dénotant chez lui une assurance certaine qui justifiait très certainement sa place dans les rangs de la garnison. "Un messager vient de nous rapporter qu'Hustar a été attaqué cette nuit."
Je sentis mon cœur se serrer dans mon poitrine, un frisson glacé courant le long de ma colonne vertébrale, en encaissant la nouvelle. C'était donc là-bas que se trouvait Karel.
"Des victimes ?" demandai-je au jeune homme, maîtrisant mon ton pour ne pas trahir trop ouvertement mon inquiétude. Cependant, je ne pus empêcher la colère qui montait en moi de durcir encore mon phrasé en sachant pertinemment que oui, il y avait eu des victimes.
"Nous n'avons encore aucun rapport détaillé de la situation. Juste ce constat ma Reine," me répondit-il en se relevant. "Que devons-nous faire ?"
Je m'avançai vers lui d'un pas décidé, une allure soutenue. Il me dépassait d'une bonne tête, et sa carrure me faisait paraître bien frêle à ses côtés. Fermement, ma main droite se posa sur son épaule, mes doigts s'enfonçant légèrement dans les mailles de son haubert.
"Rien pour l'instant, soldat. Réagir à chaud et à l'aveugle est la pire des options. Merci pour votre célérité."
"Entendu ma Reine. Je suis à votre disposition si besoin." Il me salua de nouveau puis s'éloigna du même pas pressé ; mes noisettes ne se détachant de sa silhouette qu'après de longues secondes où je restai interdite. Puis un murmure las s'échappa d'entre mes lèvres. "Je sais..."
Je ne pensais pas voir ce jour arriver, mais si! Oui! Oui! Nous avons enfin une reine de Terra! Les miracles arrivent, finalement!
Excellente fiche, du début jusqu'à la fin, j'ai eu très peu de choses à en redire. Karel va sûrement devoir légèrement modifier la sienne, mais cette version me semble plus cohérente avec les pactes.
Au plaisir de se croiser en RP!
Puissance - Rang A+:
Génie de la magie et descendante, bien qu'indirecte, de la lignée d'Ignis, Ellana possède une très grande réserve de mana et une maîtrise de la terre lui permettant de figurer parmi les plus puissants magiciens de cet élément de part le monde. Ayant fait ses armes dans une école militaire Terranne, elle peut aussi tenir tête en combat singulier face à des personnes beaucoup plus fortes qu'elle-même, voire des pactisants.
Influence - Rang A:
Reine de Terra, symbole du pays et chef suprême de l'armée, Ellana forme à elle seule l'un des trois pouvoirs de Terra, et par là même, est la personne possédant le plus d'influence sur le pays. Elle est toutefois loin d'avoir tous les pouvoirs et doit cohabiter avec les différents pouvoirs du pays: le sénat, les hommes de foi et l'armée.
Bon, maintenant je peux le dire. Bienvenue sur le forum, chère reine de Terra!
Ellana Senyl
Messages : 6 Age : 28 Métier : Reine de Terra Humeur : DéterminéePoints Histoire : 0
Dim 8 Juin - 19:24
Dix-huit mois après m'être inscrit, je peux enfin le dire : YEEEAAAHHH !!!
Merci pour la validation mon cher Ehol, et au plaisir de se croiser en RP.